Charles Rennie Mackintosh (1868-1928) a passé la plus grande partie de son existence dans la petite ville écossaise de Glasgow, bien loin des grandes métropoles - Paris, Vienne, Bruxelles - où bouillonne l'avant-garde artistique de l'époque. Il n'en est pas moins une figure essentielle du design au tournant du siècle.
Charles Rennie MackintoshDans les années 1900, il constitue avec sa femme, Margaret, sa belle-soeur Frances Macdonald et le mari de cette dernière, Herbert McNair, le "groupe des Quatre". Il passe alors pour l'un des créateurs les plus talentueux et les plus originaux de son temps. En 1913, il quitte Glasgow pour Londres. Malgré les succès et la réputation internationale qu'il s'y forge rapidement, il s'y sent mal à l'aise et ne réussit jamais à se défaire d'une tendance à la mélancolie et d'une insatisfaction chroniques.
STYLE NOVATEUROn connaît de Mackintosh ses projets architecturaux pleins d'audace : l'école des Beaux-Arts de Glasgow, achevée en 1909, et deux résidences bâties près de la même ville - Windhyll, en 1900-1901, et Hill House, en 1903. Claires et lumineuses, elles s'avèrent d'une étonnante modernité.
Pourtant son génie éclate davantage dans ses projets de meubles, de vitraux, de tissus ou d'orfèvrerie. Dans ses dessins, où l'on décèle de lointaines références à la nature et au corps humain, il assemble à loisir des formes abstraites, mettant l'accent sur les horizontales et les verticales.
A force de stylisation, ses fleurs aux longues tiges deviennent des motifs purement abstraits, comme animés d'une vie propre. Ses créations se nourrissent de plusieurs influences habilement synthétisées : les entrelacs de l'art celtique, le dépouillement japonais, la poétique d'Arts and Crafts et des préraphaélites.
L'école des Beaux-Arts de GasgowHill House DEBUTS DE CARRIERE, ET ATTRAIT DU SYMBOLISMEMackintosh débute en tant qu'architecte à Glasgow. En 1889, il travaille pour le cabinet d'architecture Honeyman & Keppie, où il rencontre le dessinateur Herbert McNair. Tous deux suivent les cours du soir de l'école des Beaux-Arts de Glasgow. Avec Margaret et Frances Macdonald, ils travaillent sur des projets d'affiches ou d'objets d'art. Leurs créations révèlent alors l'influence de l'illustrateur Aubray Beardsley et celle des formes Art nouveau.
Au milieu des années 1890, le symbolisme et le vocabulaire artistique que celui-ci privilégie - figures de femmes idéalisées, longues chevelures et robes flottantes, fleurs, oiseaux, thème de l'amour et de la mort - exercent sur Mackintosh un attrait incontestable.
Dès 1893, des commandes privées lui offrent l'occasion de dessiner du mobiliers : essentiellement des meubles de rangement ou des armoires de chêne.
ANNEES 1900L'année 1900 est essentielle pour Mackintosh et ses collaborateurs, puisqu'il commence à travailler sur des projets de Windhyll, la maison que se fait construire William Davidson. Invité par l'architecte-designer Josef Hoffmann, il participe à la 8e exposition de la Sécession, ce qui assure à ses travaux une audience internationale. La même année, il épouse Margaret Macdonald. Les dessins dus à Margaret, longues figures féminines ou des motifs naturalistes, ont enrichi de nombreuses créations de Mackintosh.
Rose et larme MACKINTOSH THEORICIENMackintosh ne partage pas les idées de William Morris, C.R. Ashbee, C.F.A. Voyses et des autres membres du mouvement Arts and Crafts, partisans de l'"art pour tous", pas plus que leur défense inconditionnelle de l'artisanat ; il cherche plutôt à élaborer des formes nouvelles pour donner corps à sa grande idée : fondre l'architecture et le décor intérieur en un ensemble homogène. Cette préoccupation rejoint les grands principes des meilleurs représentants de l'école allemande et autrichienne ; comme eux, Mackintosh désire créer une "oeuvre d'art totale", dont les éléments se fondent en une harmonie visuelle globale.
Deux projets montrent avec quel brio Mackintosh a su faire en sorte que l'effet général d'un aménagement l'emporte sur la somme des éléments qui le composent. Dans un dessin daté de 1900, destiné à l'intérieur du 120 Mains Street, à Glasgow, la première demeure qu'il habite avec Margaret Macdonald, le réseau de lignes créé par le dossier des sièges, les panneaux muraux, une frise placée à mi-hauteur et les plafonniers mettent l'accent sur le jeu des horizontales et des verticales. Seules des couleurs assourdies - blanc, crème, gris pâle - sont utilisées, réveillées par des touches de violet. Quelques compositions de fleurs séchées, inspirées de l'ikebana, quelques estampes japonaises proposent un contrepoint à cette géométrie omniprésente. Cet ensemble est sans nul doute le fruit d'une collaboration : à Mackintosh revient la trame géométrique, à Margaret les détails décoratifs.
A l'exposition des Arts décoratifs modernes de Turin, en 1902, le couple montre un nouvel exemple de son travail avec le fameux
Rose Boudoir. Une structure géométrique, aux proportions soigneusement étudiées, s'orne de motifs mélangeant l'organique et le naturel : roses et visages de femmes stylisés, longues chevelures dénouées, formes sinueuses.
Les meubles que Mackintosh dessine dans les années 1900 - dont le mobilier de Windhyll ou la fameuse chaise à très haut dossier créée pour Hill House - sont conçus pour composer un effet d'ensemble, où chaque partie joue un rôle précis, un peu comme dans un orchestre chaque instrument concourt à donner une couleur particulière à un morceau de musique. Dans cette veine s'inscrivent aussi les meubles créés pour la chaîne de salons de thé de Miss Cranston à Glasgow (1898-1899, 7903), dont Mackintosh conçoit l'agencement intérieur et l'ameublement.
Chaise Hill HouseChaise à dossier cintré en treillis pour les Willow Tea Rooms SUCCES INTERNATIONAL ET DESSINS D'ARCHITECTUREEntre 1900 et 1906, Mackintosh est particulièrement prolifique. Il participe à de nombreuses expositions en Europe, et sa réputation franchit rapidement les frontières, ce qui lui vaut de nombreuses commandes.
En 1902, le banquier viennois Fritz Wämdorfer, mécène des Wiener Werkstätte, lui demande un projet pour un salon de musique. Fidèle à son esthétique, Mackintosh couvre les murs de grands panneaux, installe une frise à la hauteur de lambris, dessine des luminaires et des chaises à haut dossier.
Une de ses réalisations les plus importantes est l'école des Beaux-Arts de Glasgow, construite en deux temps, d'abord en 1897 à 1899, puis de 1907 à 1909. C'est ici la fonction, et non le décor, qui détermine la forme. Mieux encore, l'école peut véritablement être considérée comme une "oeuvre d'art totale" dans laquelle les détails les plus insignifiants - jusqu'aux pattes de fixation qui servent au laveur de carreaux à accrocher son échelle - jouent un rôle. Le moindre élément, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, porte la marque du créateur.
DERNIERS PROJETSNéanmoins, les commandes se raréfient, et en 1913 Mackintosh quitte Glasgow pour Londres. La maison qu'il construit en 1916-1917 pour l'industriel W.J. Bassett-Lowke et les dessins de fleurs stylisées qu'il donna dans les années vingt pour des tissus imprimés comptent parmi ses créations les plus importantes à cette époque.
Le groupe qui s'est formé autour de Mackintosh est resté à l'avant-garde du design durant toute la période capitale qui marque le passage au nouveau siècle. Mackintosh a toujours été convaincu de la nécessité d'aborder de façon radicalement nouvelle l'architecture et le design, en donnant à la structure une importance essentielle sans pour autant mépriser le rôle de la décoration ; ses créations font de lui l'un des pionners du design moderne.
Willow Tea Rooms
Panneau brodé, Margaret Macdonald-Mackintosh